Mondrian/ Holzman Trust/ Bridgeman Images
Piet Mondrian, Composition avec rouge, jaune et bleu. 1930. Huile sur toile. 45 cm X 45 cm. Kunsthaus, Zurich.
Membre fondateur de la revue d'avant-garde pluridisciplinaire De Stijl au début des années 1920, Piet Mondrian continuera seul d'interroger les limites de la peinture de chevalet. Composition avec rouge, jaune et bleu, datant de 1930, est exemplaire de ce que le peintre nommera le néo-plasticisme.
Cette nouvelle plastique résulte d'une lente mais radicale épuration de l'espace pictural. En 1917, la Composition de lignes noires concluait, en s'en libérant, la série des Jetée et Océan commencée en 1914. Réduit à son essence rythmique, le paysage est traduit picturalement en un jeu d'oppositions dynamiques : noir/blanc ; unités verticales/unités horizontales ; format carré/composition circulaire. En 1930, dans Composition avec rouge, jaune et bleu, l'émancipation de la nature est complète et le tableau ne repose plus que sur l'organisation de ses constituants formels.
Les deux lignes les plus fines définissent, paradoxalement, l'ossature de base autour de laquelle s'articule l'espace. Trois autres lignes (ayant chacune leur épaisseur distincte) développent cette structure que les contrepoints colorés mettent en évidence. Réduite aux trois primaires (rouge, bleu, jaune), la couleur conserve ici une valeur expressive en partie déterminée par la surface qu'elle occupe. Cependant, aucun symbolisme ne vient perturber sa perception ; et la touche – particulièrement discrète – évacue toute manifestation tragique de l'individualité de l'artiste.
À la différence d'autres compositions de Mondrian, les blancs purs acquièrent ici un rôle actif. Dans cette composition de 1920, par exemple, les blancs sont différemment teintés afin d'éviter leur traditionnelle identification au fond du tableau et d'échapper ainsi à l'illusion d'un espace profond que provoquerait un contraste trop fort avec le réseau de lignes noires.
Le centre de l'espace, déterminé par le point d'intersection des deux lignes principales n'est pas, on le voit, celui de la composition, mais le centre virtuel d'un espace qui la déborde. Les lignes semblent en effet être coupées par le bord du tableau et se poursuivre au-delà du champ pictural. Le tableau est en ce sens un fragment de 45 centimètres d'infini au carré. Cependant, l'horizontale en bas à droite, s'arrêtant à quelques millimètres du bord, vient – discrètement – interrompre cet épanchement illusoire et nous rappelle la limite physique de la toile.
Le cadre placé en retrait de la toile nous empêche définitivement de l'appréhender comme une fenêtre ouverte sur le monde. Notre regard est désormais privé de la possibilité de percer le plan de la toile pour se projeter au-delà de sa surface. Chez Mondrian, c'est la peinture qui se trouve projetée dans l'espace du spectateur amorçant subrepticement – comme nous le montre cette photo de son dernier atelier – la dissolution, toujours à venir, de l'art dans la vie.
Auteur : Hervé Vanel