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Le 15 mars 1385, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi régularise sa récente fondation funéraire à la chartreuse de Champmol, aux portes de Dijon. Le 13 septembre de l'année suivante, il y fonde une chapelle pour la dynastie des Valois de Bourgogne. La nouvelle fondation comprend une église, un petit cloître, un grand cloître et, tout autour de celui-ci, les cellules des moines.
Au centre du grand cloître, qui abrite le cimetière de la communauté, au-dessus du bassin de la fontaine, s'élève une Grande Croix, supportée par six prophètes en pied, accompagnés d'anges en pleurs, ainsi que de la Vierge Marie, de saint Jean et de sainte Marie-Madeleine, les deuillants selon la tradition évangélique.
Suivant aussi la tradition des chartreuses, à la fontaine se trouvent associés le puits du cloître et un calvaire. L'ensemble est l'œuvre du sculpteur Claus Sluter, imagier du duc de Bourgogne. Les six prophètes tiennent chacun des phylactères sur lesquels ont été reportés des versets annonçant la Crucifixion. Moïse montre ainsi un texte faisant allusion au sacrifice salvateur et à la fontaine de sang.
Les prophètes sont en procession et tournent autour du puits et de la fontaine. Leur place est déterminée en fonction de l'entrée principale dans le cloître, qui était accessible aux laïcs, comme l'église et le parloir. Juste en face de l'entrée, David ouvre le cortège. Il est suivi par les prophètes Jérémie, Zacharie, Daniel, Isaïe et enfin Moïse.
Le prophète David, qui occupe la place d'honneur, est cité le premier dans les comptes ducaux de 1402, pour la construction et la décoration des bâtiments. Il se situe sur l'axe qui menait à l'église de la chartreuse. Il est aussi porteur d'une symbolique exaltant la majesté du duc de Bourgogne. En témoignent la couronne d'azur et d'or aux couleurs du roi de France, les soleils d'or sur sa tunique et les initiales P et M indiquant, au-dessus de lui, le patronage du duc Philippe le Hardi et de la duchesse Marguerite de Flandre. L'appartenance aux Valois de la nouvelle maison de Bourgogne était ainsi soulignée. À la différence des autres prophètes, les anges qui dominent David sont tournés vers lui car, selon l'opinion commune à l'époque, les trois races de rois descendaient de lui.
Deux autres prophètes sont mis en valeur : Moïse désigne la fontaine de sang et le calvaire, alors que Jérémie tient à la main des bésicles telles qu'en portait Philippe le Hardi. La couleur verte de son vêtement indique la valeur de l'intimité.
La polychromie des figures, récemment mise en évidence, accentue le partage entre ce qui appartient au domaine du privé et ce qui a trait au public. Isaïe, Zacharie et Daniel portent ainsi tous trois des vêtements rouges, « de gueules » en héraldique, en relation avec la brisure des armes de France au-dessus de la composition. L'ensemble a été développé sur un fond neutre, peint en gris.
Au-dessus, en surplomb, se vit le drame de la Passion, condensé dans la figure du Crucifié, dont restent la tête et la partie supérieure du torse, d'un réalisme qui atteint au pathétique. Au tournant des XIVe et XVe siècles, la volonté de prestige du duc Philippe le Hardi s'exprime ainsi à travers le renouvellement combiné de la sculpture et de la symbolique princière.
Auteur : Daniel RUSSO