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En 1884, la municipalité de Calais décida d'ériger, à l'issue d'une souscription publique, un monument commémorant l'héroïsme de six bourgeois de la ville, qui, lors de son siège, en 1347, par les Anglais, se livrèrent au roi Édouard III, afin de sauver le reste de la population. Destinés à être exécutés, ils furent graciés par l'intercession de la reine Philippa. La réalisation du monument fut confiée à Rodin, qui, très vite, décida d'insister sur l'idée de sacrifice collectif, en présentant les six bourgeois, et non seulement leur chef, Eustache de Saint-Pierre, sur un piédestal initialement conçu comme un arc de triomphe.
Une première maquette lui permit d'emporter définitivement la commande, mais la deuxième, faite au tiers de la grandeur définitive, suscita plus de réserves. Le comité chargé de l'érection du monument aurait voulu voir une forme plus classique, en hauteur. Soucieux d'exalter l'héroïsme des personnages et de les proposer en exemple, il critiqua surtout le découragement et la douleur qu'ils manifestaient. Rodin défendit son projet : « Têtes en pyramide au lieu de têtes en ligne droite, c'est me conseiller la convention », écrivait-il. Il fut surtout servi par les difficultés financières du comité, qui dut suspendre l'exécution définitive, ce qui laissa l'artiste libre de mener à bien ses idées.
Rodin termina le groupe en 1889, ayant pour chacun des personnages modelé une figure nue, habillée ensuite de la tunique des condamnés à mort. Le sculpteur renforça, au fur et à mesure de l'élaboration des figures, l'expressivité des têtes. Les plus âgés se résignent à mourir, les plus jeunes regrettent un décès précoce. Rodin décida cependant d'adopter une disposition différente de celle qu'il avait d'abord prévue. Dans sa deuxième maquette, les bourgeois formaient une sorte de ronde. Dans le groupe terminé, tous, réunis autour d'Eustache de Saint-Pierre, regardent dans la même direction.
Il fallut attendre encore plusieurs années avant que le monument ne soit enfin fondu, puis inauguré, en 1895. Le socle était traditionnel, à mi-hauteur, alors que Rodin avait proposé qu'il soit ou bien très élevé, ou bien plus radicalement très bas, « pour laisser, disait-il, le public pénétrer au c.ur du sujet, comme dans les mises au tombeau d'église » du Moyen Âge ou de la Renaissance. Cette dernière disposition fut adoptée à Calais même, lorsque le groupe fut déplacé pour être installé devant l'hôtel de ville. Les deux possibilités devaient être adoptées successivement lors de la mise en place de fontes ultérieures, au musée Rodin à Paris ou dans celui de Mariemont, en Belgique. On ne compte en effet pas moins de onze fontes du groupe, réalisées de 1900 à 1996, et acquises par des institutions européennes, américaines ou asiatiques. C'est dire le succès de l'œuvre, auprès d'un public pourtant étranger aux motivations locales et patriotiques à l'origine de sa création.
Rodin exposa plusieurs fois le plâtre original. Il isola tout ou partie des différentes figures, s'en servant parfois pour créer ensuite, par assemblage, de nouvelles sculptures, telle celle qui associe la tête de Pierre de Wissant avec un nu féminin, ou le Masque de Camille Claudel avec une main de Pierre de Wissant.
Auteur : Bathélémy JOBERT
Bibliographie :
Auguste Rodin, le monument des Bourgeois de Calais (1884-1895) dans les collections du musée Rodin et du musée des Beaux-Arts de Calais, catal. expos., Musée des Beaux-Arts de Calais-Musée Rodin, Paris, 1977.
Auguste Rodin, Die Bürger von Calais. Werk und Wirkung, catal. expos., Skulpturenmuseum Glaskasten Marl-Musée royal de Mariemont-Verlag Gerd Hatje, Ostfildern-Ruit, 1997.
A. LENORMAND ROMAIN dir., Rodin et l'Italie, catal. expos., Académie de France à Rome-Edizioni De Luca, Rome, 2001.